(Français) Le pèlerinage audacieux du pape Léon XIV en Turquie : la diplomatie au service de la foi
ORIGINAL LANGUAGES, 1 Dec 2025
Diran Noubar – TRANSCEND Media Service
30 novembre 2025 – Constantinople , Turquie
À l’ombre des minarets et des anciens clochers, là où le Bosphore murmure les souvenirs d’empires disparus, le pape Léon XIV, premier pontife américain, vient d’accomplir un voyage d’une rare audace et d’une grande intelligence stratégique lors de ses quatre jours historiques en Turquie. Arrivé le 27 novembre en tant que chef spirituel des 1,4 milliard de catholiques et souverain de l’État de la Cité du Vatican, il a posé le pied dans un pays où les chrétiens ne sont plus qu’une poignée (moins de 100 000) au milieu de 86 millions de musulmans majoritaires. Ce n’est pas seulement un voyage pastoral : c’est de la realpolitik en soutane, une démonstration magistrale de ce que signifie être à la fois pasteur et chef d’État.
Beaucoup l’oublient : le pape n’est pas seulement une simple autorité morale. Il est aussi un acteur diplomatique qui négocie des accords, protège des frontières et, parfois, sauve la survie même de communautés croyantes dans des environnements hostiles. Ce voyage, officiellement placé sous le signe du 1700e anniversaire du Concile de Nicée (325), premier concile œcuménique et berceau du Credo, a été bien plus qu’une commémoration : il a été un acte de renforcement concret des chrétiens de Turquie.
Le prélude diplomatique : couronnes de fleurs, poignées de main et serpents avalés
Tout voyage papal en Turquie moderne exige des concessions – ce que l’on appelle, en langage diplomatique, « avaler des couleuvres ». Léon XIV a accepté ces règles du jeu avec une parfaite maîtrise.
Le périple a commencé le 27 novembre à Ankara : dépôt d’une gerbe de fleurs rouges et blanches sur le mausolée d’Atatürk (Anıtkabir), accompagné d’un message de gratitude et de prière pour la paix et la prospérité de la Turquie. Geste protocolaire, presque oublié d’avance. Dans quelques années, personne ne se souviendra que le pape est allé fleurir la tombe du fondateur de la République laïque. En revanche, tout le monde se rappellera ce qu’il est venu faire ensuite.
De là, direction le palais présidentiel pour une rencontre avec Recep Tayyip Erdoğan : la garde à cheval, salves d’artillerie, hymnes nationaux, discours croisés. Le pape a salua la Turquie comme « pont entre Orient et Occident » et loua son rôle de médiatrice (Ukraine, Gaza), tout en glissant discrètement la nécessité du pluralisme religieux. Erdoğan, lui, se félicita des prises de position du pape sur la Palestine et l’Ukraine. Chacun y trouva son compte. C’était le prix à payer pour que la suite du programme puisse se dérouler sans entraves.
Le cœur de la mission : redonner courage aux chrétiens de Turquie
Une fois les obligations d’Ankara remplies, Léon XIV s’est envolé pour Istanbul, où le voyage a pris toute sa dimension spirituelle et politique.
- Le 28 novembre : rencontre émouvante avec tout le clergé catholique de Turquie à la cathédrale du Saint-Esprit, sous les vivats de « Papa Leo ! ».
- Le même jour, pèlerinage à İznik (l’antique Nicée) avec le patriarche œcuménique Bartholomée Ier et des représentants de toutes les Églises orientales : récitation commune du Credo de Nicée… sans le Filioque, geste fort envers l’Orthodoxie.
- Le 29 novembre : visite de respect (sans prière) à la Mosquée Bleue, rencontre avec les syriaques orthodoxes à l’église Mor Ephrem, signature d’une déclaration commune avec Bartholomée au Phanar, puis, moment historique, messe célébrée dans une arène de football (Volkswagen Arena) transformée en cathédrale pour 4 000 fidèles parlant latin, arménien, chaldéen, syriaque, turc et arabe. Sous la pluie, les pèlerins ont pleuré de joie.
L’acte le plus fort : le dimanche matin à la cathédrale arménienne
Dimanche matin, 30 novembre à 9 h 30, Léon XIV a accompli l’acte le plus courageux et le plus symbolique de tout son voyage : il a célébré une prière solennelle dans la cathédrale arménienne apostolique de Beyoğlu (quartier historique souvent rattaché à Beşiktaş dans le langage courant), entouré de toute la communauté arménienne de Constantinople et sous la présidence de l’archevêque Sahak II Mashalian.
Diffusé en direct sur KTO (ktotv.com), ce geste résonne comme un coup de tonnerre dans un pays où la mémoire du génocide arménien de 1915 reste un sujet ultrasensible, où les 60 000 Arméniens de Turquie vivent encore dans la peur et l’émigration permanente. En venant ici, en plein cœur de Constantinople , le pape a envoyé un message clair aux autorités turques et au monde entier : les chrétiens d’Orient ne sont pas seuls, et l’Église universelle les protège.
Le bilan : une diplomatie qui sert la foi
Quand Léon XIV est reparti cet après-midi pour le Liban, il a laissé derrière lui une empreinte indélébile. Les photos avec Erdoğan, la visite à la Mosquée Bleue, les fleurs sur la tombe d’Atatürk ? Des concessions nécessaires, déjà presque oubliées.
Ce qu’on retiendra dans dix, vingt, cent ans, c’est qu’un pape est venu, au péril de la polémique, célébrer avec les Arméniens de Turquie, encourager les catholiques, les orthodoxes et syriaques, redonner espoir à une Église minuscule dans un environnement musulman souvent hostile.
C’était très, très intelligent.
Dans une région déchirée par les guerres et les tensions confessionnelles, Léon XIV a rappelé une vérité simple : la soutane du pape cache aussi un passeport diplomatique, et ce passeport peut sauver des âmes.
La visite d’État a servi de bouclier.
La prière avec les Arméniens, elle, restera dans l’Histoire.
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Diran Noubar, Italo-Arménien né en France, a vécu dans 11 pays avant de s’installer en Arménie. Documentariste et reporter de guerre de renommée mondiale, salué par la critique, il a produit et réalisé plus de 20 longs métrages documentaires à New York au début des années 2000. Auteur-compositeur-interprète et guitariste, il a également formé son propre groupe et dirige wearemenia.org, une association à but non lucratif.
Tags: Armenia, Christianity, History, Islam, Pope Leo XIV, Türkiye, West Asia
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