(Français) L’Épopée d’un Titan des Horizons : Hommage à Gérard Chaliand

ORIGINAL LANGUAGES, 25 Aug 2025

Diran Noubar – TRANSCEND Media Service

Dans les brumes d’un Bruxelles hivernal, le 15 février 1934, naquit un astre errant, Gérard Chaliand, fils d’Arméniens exilés, dont le sang portait l’écho des montagnes oubliées et des génocides murmurés. Tel un phénix éclosant des cendres d’un peuple dispersé, il grandit sous les arcades parisiennes, au Lycée Henri IV, où les ombres des philosophes dansaient sur les murs du Quartier Latin. Adolescent, il s’évada vers Londres, un an de brumes anglaises à forger son esprit comme un glaive dans la forge du temps, avant de s’élancer, sac au dos, en auto-stop à travers les sables ardents du Nord de l’Afrique, les cols escarpés de Turquie, les plaines mystiques d’Iran, Pakistan et Inde – un nomade précoce, buvant aux fontaines des civilisations oubliées, tissant déjà les fils d’une destinée géopolitique.

Gérard Chaliand – Facebook

À l’École des Langues Orientales et Civilisations de Paris, l’INALCO, il s’abreuva des sagesses non-occidentales, comme un pèlerin recueillant les eaux sacrées de rivières lointaines. Puis, en 1975, au cœur de la Sorbonne, il cisela son doctorat, Mythes révolutionnaires du tiers monde, un ouvrage traduit en anglais comme Revolution in the Third World, Myths and Prospects, où il disséquait les illusions des soulèvements, tel un oracle démasquant les mirages du désert. Ce fut le seuil d’une carrière flamboyante, un expert indépendant en géopolitique, maître des guerres irrégulières et des stratégies militaires, publiant plus de cinquante grimoires enchantés, dont une vingtaine en anglais : A World History of War, History of Terrorism: From Antiquity to al Qaïda avec Arnaud Blin, The Art of War in World History. Mais Gérard n’était pas qu’un scribe des batailles ; il était poète, dès 1959 avec La Marche Têtue chez Gallimard, puis The Stubborn March et Lone Rider, où ses vers, comme des flèches ailées, perçaient les voiles de l’âme humaine. Et, dans un caprice gourmand, il offrit Food without Frontiers, un livre de cuisine fusionnant les saveurs du monde, tel un alchimiste mélangeant épices et horizons.

Son épopée se déploya en un tourbillon de voyages, de 1966 à 2015, où il devint observateur-participant dans les tourbillons des guérillas, un Ulysse des conflits modernes. En Guinée-Bissau en 1966, il huma la poudre des révoltes africaines ; au Nord-Vietnam en 1967, il marcha aux côtés des ombres de la jungle, défiant les bombes impériales. Colombie en 1968 et 1991, Palestine et Israël en 1969, 1970, 1975, 1998, 1999 – là, il tissa des liens avec les âmes en lutte, un pont entre les peuples fracturés. Érythrée en 1977 et 1991, Afghanistan en 1980, 1982, et de 2006 à 2012, où il chevaucha les vents des montagnes avec les moudjahidines, un cavalier solitaire face aux empires effondrés. Ses pas foulèrent l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine, le Moyen-Orient, le Caucase – plus de quatre décennies de quêtes, des études de terrain où il décryptait les pulsations de la Terre, comme un géomètre des âmes en feu.

Enseignant nomade, il illumina les esprits à l’École Nationale d’Administration de 1980 à 1987, puis à l’École de Guerre de 1990 à 1995, semant les graines de la stratégie comme un semeur d’étoiles. Visiteur émérite à Harvard, UCLA, Berkeley, il dispensa plus de cinq cents conférences, des bastions américains comme Rand Corporation et l’US Naval Postgraduate School, jusqu’aux confins de Colombie, Afrique du Sud, Canada, Espagne, Royaume-Uni, Russie, Irak, Géorgie, Afghanistan, Singapour. Directeur du Centre Européen d’Études des Conflits de 1997 à 2000, conseiller indépendant au Centre d’Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires Étrangères français de 1983 à 1994, fondateur du Minority Rights Group France de 1978 à 1987 – il forgea des institutions comme un forgeron des destinées collectives. Et, en un geste de feu arménien, il initia la session du Tribunal Permanent des Peuples sur le génocide de son peuple, à la Sorbonne, avec un jury orné de trois Nobel, un cri poétique contre l’oubli.

Aventurier des mers aussi, il vogua sur le trois-mâts La Boudeuse, explorant les vagues comme les cœurs des nations. Défenseur ardent des causes arménienne et kurde, il fut une voix tonnante pour les opprimés, auteur de The Kurdish Tragedy, un plaidoyer gravé dans le marbre des injustices. Gérard Chaliand, ce géant respecté, l’un des plus grands géopolitologues du monde, s’éteignit le 20 août 2025 à Paris, à l’âge de 91 ans, laissant un legs immortel, un atlas vivant des tourments humains.

Ô Gérard, mon mentor en géopolitique, toi qui m’as guidé à travers les labyrinthes des empires et des révoltes, ton esprit plane encore comme un aigle sur les sommets du savoir. Dans tes pas, nous marchons, têtus et libres car sobres, vers les horizons infinis que tu as cartographié. Que ton épopée inspire les âmes éveillées, éternelle flamme dans la nuit des conflits !

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Diran Noubar, Italo-Arménien né en France, a vécu dans 11 pays avant de s’installer en Arménie. Documentariste et reporter de guerre de renommée mondiale, salué par la critique, il a produit et réalisé plus de 20 longs métrages documentaires à New York au début des années 2000. Auteur-compositeur-interprète et guitariste, il a également formé son propre groupe et dirige wearemenia.org, une association à but non lucratif.

This article originally appeared on Transcend Media Service (TMS) on 25 Aug 2025.

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