(Français) Paroles sur les Crises au Mali et les Limites de la Démocratie

ORIGINAL LANGUAGES, 30 Dec 2019

Dr Robin Edward Poulton – TRANSCEND Media Service

Expériences et Analyses Pour Favoriser la Paix

Textes coordonnés par Macky Tall et Robin Edward Poulton, Publié par Editions La Sahélienne, Bamako 2019

Le Mali est victime d’un Choc des Corporations – Extrait Du Livre

Dec 2019 – Cela fait des siècles que les Arabes et les Africains vivent dans la région méditerranéenne à côté des Européens. Depuis le monde antique – quand ces terres étaient grècques, carthaginoises, ensuite sous l’Empire romain et depuis l’an 698 sous les conquérants arabes – cette zone est un espace partagé. L’installation des empires français et anglais dominants avait dèséquilibré le partage; mais cela ne signifie pas un choc entre civilisations. Les Portugais sont arrivés sur la côte de l’Afrique occidentale vers 1500. A partir de 1830, la France avaient occupé, dominé, malmené les populations africaines jusqu’aux indépendances des années 1960; mais les Africains restent tolérants. On parle le français. On admire la France où on passe souvent les études et les vacances (malgré l’impolitesse du Consulat de France). La plupart des Africains francophones ont des amis français.  Il n’y a aucun “choc des civilisations” – un slogan américain inventé pour justifier l’expansionnisme militaire et gazophage de l’époque Bush.[i]

Le Sahara est une zone de commerce ancestrale. Les Tuaregs et les Arabes du Maghreb traversent le désert depuis des siècles avec leurs caravanes de chameaux, apportant à Tombouctou la religion d’Islam, les dattes et le sel qu’ils échangeaient contre l’or venu des forêts de l’empire médiéval du Mali. Le Maliens admiraient la solidarité des Musulmans, leur journée réglée par l’appel à la prière cinq fois par jour. Depuis l’an 800, l’Islam a fait son chemin en Afrique occidentale. Dans les républiques laïques modernes du Mali, du Sénégal, de la Maurétanie, de la Gambie, de la Guinée, jusqu’a 95% de la population sont musulmans.

Le slogan “terrorisme islamique” est injustifiée. L’étiquette religieuse donne une respectabilité aux groupes violents et criminels qui n’ont rien de musulman. Les traficants de la cocaïne et des cigarettes dans le Sahara ont beau se dire “jihadistes” d’Al Qaida: leurs objectifs sont économiques et politiques.  Se réclamer d’une religion facilite le collecte des fonds et le recrutement de jeunes fanatiques pour faire avancer le projet politique. Tout comme l’internet, la religion constitue un facteur d’aggravation – de renforcement – qui multiplie les ressources d’un mouvement dont l’objectif reste soit politique, soit criminel.

Si nous trouvons absurde le concept d’un “choc des civilisations,” il faut se faire à l’évidence d’un Choc des Corporations. Le terrorisme religieux est un faux, mais on ne peut pas ignorer l’existence de corporations religieuses en concurrence: des organisations dont la foi constitue l’objectif même de leur existence. Souvent elles ont aussi des objectifs politiques ou économiques.

Les corporations religieuses et les mafias internationales

Au Sénégal notamment, les fraternités Tijania et Mouride répondent très bien à la définition d’une corporation: “organisation de personnes ayant des droits et des obligations différents des dites personnes, mais auxquels les collaborateurs et investisseurs contribuent” – d’autant plus facilement que le Tijania a beaucoup d’intérêts financiers dans l’industrie et dans les transports; alors que les Mourides contrôlent une bonne partie de l’économie agricole sénégalaise. On trouve des fidèles de ces deux corporations religieuses au Mali et dans les autres pays voisins.

Les Mourides sont d’origine sénégalaise. Le Tijania trouve ses origines au Maroc. Les liens politiques et commerciaux forts entre le Maroc et ses voisins sub-Sahariens sont renforcés par leur histoire spirituelle commune. A présent, le Maroc a lancé des circuits de formations des Imams, pour pouvoir les lâcher ensuite sur le terrain au Mali et ailleurs pour contrer l’influence des prêcheurs wahhabistes financés depuis 40 années par les Saoudiens.[ii] Il vont contester l’influence d’une corporation religieuse pakistanaise très importante appelée Dawa’a (la prêche), autrement connue sous les noms Jama’at Tibligh ou Tablighi Jamaat. Ce sont des extrémistes du jihad al-nafs à savoir la lutte interne contre ses propres pulsions …. mais c’est un court voyage de passer au jihad violent, car les prêches du Dawa’a sont presque les mêmes que celles des Wahhabistes violents (financés comme les Dawa’a depuis l’Arabie saoudite). Cette violence se retrouve dans les démarches d’Al Qaida et, à un degré plus extrême encore, dans les pratiques de l’État islamiste Da’ech. L’émergence de cette dernière corporation religieuse en 2012 avait perturbé les autres: un concurrent vif attirant des appuis et même des demandes de franchise en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie) et sub-Saharienne (Boko Haram au Nigéria, entre autres).

Des rivalités corporatistes divisent le Haut Conseil Islamique du Mali, dont le désormais ex-président wahhabiste Mahmoud Dicko avait été réélu en mars 2014 dans des conditions très peu claires. Il est devenu controversé par ses positions ambiguës vis-à-vis des jihadistes et de leur invasion de Tombouctou, Dicko étant resté silencieux devant la destruction par les Arabes étrangers des tombeaux soufis.[iii] Le vice-président alors du HCIM, le très populaire Chérif Madani Haïdara devenu président du HCIM depuis, avait créé une association Groupement des Leaders Spirituels Musulmans du Mali pour assurer la promotion des idées malékites face aux dogmes wahhabistes. En particulier Chérif Madani Haïdara prone la séparation des autorités politiques et religieuses. Les Wahhabistes se plaisent à clamer: “Le Koran est notre Constitution.”

Les jihadistes et contrabandiers algériens avaient décidé, à partir de 2005, d’adhérer à la corporation Al Qaida. Le business de la franchise AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique) concerne le trafic des cigarettes, stupéfiants et autres produits de contrebande entre groupes mafieux de la Colombie à l’Italie en passant par les mafias militaires aux pays du Maghreb. En plus, l’AQMI pratique le trafic des personnes (migrants). D’autres corporations étaient leur partenaires et/ou leur rivaux: les Touaregs de Kidal organisés par Ibrahim Ag Bahanga, qui sont devenus les MNLA et HCUA; les traficants arabes Berabiches et Mauritaniens qui avaient créé plus tard le Mujao; le Polisario dans le sud de l’Algérie; divers groupes corporatistes libyens, algériens et peut-être marocains associés à l’une ou l’autre branches des services de sécurité de leur pays. La nature illégale mais tellement lucrative de leurs affaires – qui englobent des enlèvements occasionnels de touristes et de journalistes occidentaux – les amenaient parfois à des accrochages violents. C’est la nature du grand banditisme.

Il était impossible pour le gouvernement malien de faire face, tout seul, à des mafias transnationales si bien organisées et si bien armées. Le refus des gouvernements algériens et libyens de coopérer en 2005 avec les tentatives du président Touré (dit ATT) pour créer une plateforme des pays de la sous-Région afin de lutter contre le trafic de la cocaïne – allié à l’indifférence des Français et de l’Union Européenne – a eu pour résultat la corruption de l’élite malienne militaire et politique. Le paiement de commissions par ces corporations mafieuses (avec la complicité indiscutable des Européens en ce qui concernait la négociation de rançons[iv]) et autres gratifications avait corrompu les services de sécurité et les hommes politiques …. et pas seulement au Mali.

Les corporations extractives occidentales et leurs armées

Les corporations extractives et militaires (“sécuritaires”) sont également présentes dans la zone. La chute des prix du pétrole entre juin 2014 et janvier 2015 avait diminué l’engagement potentiel au Sahara des grandes corporations occidentales; mais au moment (le 11 juillet 2008) où le prix du pétrole touchait $149 le baril, tous les pétroliers étaient motivés. Avec le démarrage du ‘fracking’ en Amérique du Nord, le prix du baril à la mi-2015 était tombé en-dessous de $60 – où il est resté depuis. Le Sahara cache aussi de l’uranium: les intérêts français dans ce domaine ne sont un secret pour personne. La corporation française AREVA (reprise en mai 2015 par Electricité de France) gère des opérations importantes au Niger. La formation militaire des troupes sahéliennes génère d’importants contrats pour les corporations américaines sécuritaires.  Il est impossible de séparer l’Opération Serval ou encore son successeur l’Opération Barkhane des intérêts commerciaux français et de l’OTAN – y compris de leurs manufactures d’armements.

En août 2019 Angela Merkel et Emmanuel Macron ont annoncé un nouveau partenariat entre la France et l’Allemagne pour la Sécurité et la Stabilité au Sahel (P3S) – voir l’article TMS de Will Morrow.[v]  Les armées des puissances occidentaux fonctionnent principalement en ce 21e siècle, pour protéger les intérêts économique des corporations occidentales. Un tel partenariat renforce la capacité de l’OTAN à bloquer l’accès de compétiteurs Chinois/Indiens/Russes aux ressources minéralières du Sahara – une motivation partagée par le régime chancelant de l’allié algérien qui souhaite garder un contrôle sur les exportations au Sahara du gaz et du pétrole. Il faut se rappeler que le GIA (groupe islamique armé) avait déclenché une guerre civile dans les années 1990 contre le régime militaire en Algérie, quand des militants algériens étaient revenus de l’Afghanistan, après le retrait en 1989 des troupes soviétiques. Le terrorisme et le jihad, les Algériens les connaissent depuis longtemps. Ce sont des éléments du même GIA qui se trouvent aujourd’hui à la tête de l’AQMI.

C’est l’analyste Ahmed Rashid[vi] qui accuse les puissances occidentaux de mener une politique étrangère basée sur “un seul intérêt à la fois.” Aussi l’invasion de l’Afghanistan aurait été provoquée par le désir de la corporation UNOCAL (en Californie) de construire un pipeline passant par la plaine de Hérat pour joindre la Mer Caspienne à la côte pakistanaise; l’invasion de l’Iraq aurait servi les intérêts d’autres corporations de l’axe industriel pétrole-armements; la destruction de la Libye dépendait d’influences semblables; au Mali les corporations minéralières auraient déterminé le déclenchement de l’Opération Serval: bref les décideurs politiques répondraient aux désirs des corporations qui financent leurs partis politiques.

Devant de telles influences, un pays comme le Mali peut paraître impuissant. Les voisins plus riches pourront décider de l’avenir du pays: l’Algérie, le Maroc, la Libye sont tous de grands investisseurs au Mali, mais leur stabilité est incertaine. La Libye est chaotique. L’Algérie paraît fragile avec son élection contesté pour remplacer un vieux président en fauteuil roulant, alors que la chute du prix du pétrole rend difficile le maintien des subventions des prix de produits de première nécessité – subventions qui achètent depuis vingt ans la paix sociale algérienne. L’OTAN semble vouloir maintenir en place le régime militaire gérontocratique algérien, par peur d’une alternative islamique… une option qui rappelle d’autres conflits violents entre corporations politico-religieuses (voir la Libye, la Tunisie, l’Irak, la Syrie, le Yemen).

Les soulèvements populaires mal-qualifiés de “printemps arabe” montraient surtout la fracture existant entre les régimes totalitaires et une jeunesse arabe sous-employée ou sans emploi. Différents courants sunnites essaient d’instrumentaliser la protestation, appuyés d’un côté par les Saoudiens (le courant wahhabiste) et de l’autre par le Qatar et la Turquie (les Frères musulmans). Ne pas oublier que la corporation Al Qaida est d’inspiration saoudienne.

La fracture sociale rend les prêches radicales attrayantes, quand les élites politiques n’ont rien à proposer à leur jeunesse pléthorique. Or, quand les extrêmistes prennent le pouvoir, les abus et la violence résultent devant une jeunesse armée exaltée.  Les fusils bouleversent l’ordre social; les mères impuissantes regardent leur mari et leurs fils se faire tuer en défense des intérêts corporatistes. Le Mali vit une situation similaire aux autres pays défaillants.

La Paix est-elle possible au Mali ?

Les groupes armés peuvent négocier un trève, mais ils ne peuvent pas négocier une paix. La paix viendra au Mali seulement par l’intermédiaire des mères et des communautés maliennes. Voilà pourquoi le gouvernement malien devra impérativement remplacer les discussions entre hommes armés par une participation des forces vives de la Nation. Un dialogue national (comme cela avait été pratiqué en 1994, quand l’actuel président Keita (dit IBK) était le premier ministre) pourra faire écouter la parole de tous les Maliens et toutes les Maliennes. Il faut mobiliser les associations de femmes et de jeunes. Il faut mobiliser les commerçants et impliquer dans les négociations les acteurs économiques dans chaque région : éleveurs, cultivateurs, pêcheurs, marchands, agents médicaux, éducateurs, transporteurs…. C’est par une telle mobilisation de la société civile que le Mali avait trouvé la paix pendant les années 1995-1996.[vii] Le Maliens avaient inventé un modèle africain pour la paix et la réconciliation. Ce modèle Made-in-Mali, il faut le faire fonctionner à nouveau.

Une étude récente à Douentza et dans le delta central malien – devenu une région de massacres intercommunautaires sauvages – avait trouvé que: “La militarisation des groups sociaux augmente; ce qui contribue à une fragmentation des sources alternatives de sécurité suivant les fractures socio-ethniques. Ceci laisse supposer que la paix et la réconciliation ne seront pas servies par les politiques actuelles, qui sont dominées par la réforme du secteur sécuritaire et des négociations entre les leaders des groupes les plus belliqueux. Pour que les efforts de stabilisation réussissent, il faudra assurer la redistribution et la représentation des groupes sociaux qui se sentent marginalisés, voire exclus des affaires publiques: à savoir les nomades, les femmes, la jeunesse, les anciens captifs. Une telle inclusion offre la clef de la réussite.”[viii]

Qui est responsable de la désintégration de l’État malien? Des groupes corporatistes colombiens, algériens et libyens ont leur part de responsabilité certes, en ce qui concerne la cocaïne et la corruption de la politique sous ATT; mais il est moins sûr qu’ils aient contribué à l’évaporation de l’armée et de l’administration maliennes face aux Touaregs, face aux jihadistes, devant le massacre d’Aguel Hoc et devant le coup d’état du 21/22 mars 2012. La destruction de la Libye par l’OTAN avait renvoyé les Touaregs de l’armée libyenne à Kidal: mais ils y étaient restés en attendant de négocier avec un nouveau président, suite à l’élection prévue pour le 29 avril 2012. Les Touaregs ne sont pas responsables du coup d’état à Kati. Les actions de l’armée malienne avaient privé les Malio-Libyens de la possibilité de négocier leur intégration par le Mali. Les Maliens aiment à rejeter sur d’autres la responsabilité de l’effondrement de leur État. Ils ne sont pas confortables avec la suggestion que les causes de la crise se trouveraient à l’intérieur des structures de l’État lui-même.

La faiblesse des États africains est ressortie à plusieurs reprises depuis le premier Forum sur la Paix et la Sécurité en Afrique, tenu à Dakar, Senegal les 15-16 décembre 2014, présidé par M. Macky Sall, Président du Sénégal.[ix]  L’ancien Sous-Secrétaire-général de l’ONU, M. Jean-Marie Guéhenno, l’actuel Président de l’ONG International Crisis Group, plaçait la fragilité des États au centre des crises sécuritares. M Jean-Yves Le Drian, ministre la défense français à l’époque, avait répondu que seule la coopération entre les nations pourrait nous permettre de résoudre le problème du terrorisme. “L’Opération Barkhane est un accélérateur pour la coopération,” avait-il insisté. Le Drian avait invité l’ONU, l’Union européenne, les États-Unis, la Chine et le Japon (tous présents au Forum) “à faire de la coopération une règle, plutôt que l’excéption.”

Avant le Forum 2019, l’ancien journaliste Hugo Sada, conseiller Afrique à la Compagnie européenne de l’intelligence stratégique (CEIS – l’opérateur logistique du Forum international de Dakar) commenta:

« Compte tenu de la dégradation de l’environnement sécuritaire dans le Sahel, il ne faudrait pas s’étonner que cette région soit au cœur des débats cette année, tout comme le seront sans doute les questions que chacun se pose sur l’efficacité des dispositifs mis en place pour faire face à la violence. »

Les débats à Dakar ont fait reconnaître enfin que la région du Sahel et du Maghreb font partie de l’espace géo-stratégique méditerranéen. La ville de Tombouctou n’est plus l’inconnu mystérieux sur l’autre bord du vaste océan-désert du Sahara. En 2012 le monde entier avait vu à Tombouctou, les jihadistes arabes et étrangers détruire des tombeaux soufis placés sous la protection de l’UNESCO. Le monde a vu les Sunnites étrangers d’Al Qaida insulter l’un des grands centres d’érudition islamique sunnite. L’Université Sankoré au 16e siècle avait atteint l’apogée de sa réputation comme centre scolastique pour la paix et l’humanisme, sous l’influence des grands philosophes islamiques noirs Mohamed Bagayogo et son disciple Ahmed Baba Al Sudani (auteur d’innombrables livres sur la théologie, la grammaire, l’histoire et la jurisprudence). A cette époque il y avait 25 000 étudiants à Tombouctou, dans une université dont les racines sont plus anciennes que celles d’Oxford ou de Paris. Il ne s’agit plus de “Tombouctou La Mystérieuse” dont les légendes médiévales concernaient ses mines d’or:[x] Tombouctou fait partie dèsormais des zones à risques terroristes dans l’arrière-cour de l’Union européene.

La corporation Al Qaida étend ses franchises: AQIM en Algérie et au Mali;  Al-Shabab (en Somalie), Al-Nusra (en Syrie), Ansar Al Sharia (en Tunisie et en Libye), Abu Saleem Brigade des Martyres (en Libye) Boko Haram (au Nigéria) et autres en Egypte, au Soudan, au Yemen, en Iraq et dans les pays voisins du Mali: Niger, Mauritanie, Maroc.[xi] Nous avons vu au Mali l’arrivée de jihadistes armés du Nigéria, de la Tunisie, du Pakistan et même (dit-on) de la Somalie.

Al Qaida (corporation wahhabite) et ses ennemis les Frères Musulmans (corporation sunnite) et le Hezbollah (corporation chi’ite), se sont trouvés dès 2012 face à un nouveau compétiteur: Da’ech, l’État Islamique d’Iraq et de la Syrie (EI). Dans la région Sahara-Sahel, l’EI a très vite attiré l’attention des groupes terroristes Mujao, Ansar Dine et Boko Haram. Cette nouvelle réalité a obligé les puissances occidentales et leurs alliés arabes à faire face aux contradictions de leurs positions politiques.  Ils font la guerre contre Al Qaida en Afghanistan, au Pakistan, au Yemen, en Somalie et dans le Sahara; en Syrie cependant, comme en Iraq, en Tunisie, en Libye et aussi au Mali, ils financent des groupes alliés avec Al Qaida et leur envoient même des armes.[xii]

Les stratégies expansionnistes des puissances impériales sont remplacées dèsormais par le Choc des Corporations, chacune ayant ses propres objectifs: religieux, politiques, économiques et parfois mafieux. La crise bancaire de 2008 avait poussé le système financier mondial au bord de la catastrophe, suite à une corruption quasi-généralisée des institutions bancaires occidentales autour des prêts “sub-primes.”[xiii] Quand on cède aux corporations le pouvoir de déterminer la politique étrangère des pays, elles poursuivent leurs intérêts propres au dépens des populations: l’Afrique centrale en fait la démonstration depuis de longues années.  Les corporations poussent les États à suivre des politiques basées sur “un seul intérêt à la fois” et le résultat pour les populations locales est chaos et misère.

Même si les Maliens pouvaient solutionner les problèmes profonds qui affligent l’armée, la police et leur système de la justice; même si le système éducatif était amélioré; même si la corruption était diminuée ; même si le pays devait réussir à réconcilier une bureaucratie centralisée avec la demande du peuple pour une certaine autonomie économique et pour une gouvernance décentralisée; même si le gouvernement se révélait capable de convaincre tous les Maliens et toutes les Maliennes à croire en la Nation et en sa devise un peuple, un but, une foi ….   même avec de telles prouesses forgeant une vraie unité nationale et la réconciliation entre les peuples maliens, on doit se poser la question: “Quelle influence un petit pays comme le Mali peut-il exercer par rapport à la puissance des intérêts des corporations transnationales religieuses, criminelles et économiques appuyées par leurs Opération Servel, Opération Barkhane et autres interventions militaires? Dans ce Choc des Géants, les petits pays n’ont qu’un rôle de victime.

Le proverbe malien dit bien:

“Quand les éléphants se battent, les herbes et les insectes se font écraser.”

NOTES :

[i] C’est le titre astucieux d’un livre peu convaincant écrit par le propagandiste Samuel Huntingdon. Il confond volontairement “civilisation” et “religion”: cependant la religion ne joue qu’un rôle infime dans les composantes d’une “civilisation” par comparaison aux langue, nourriture, musique, mythes et croyances, villages et cités, cultures et commerces, histoires et héros qui forgent un peuple.

[ii] https://www.maliweb.net/societe/islam-et-apprentissage-les-imams-maliens-au-maroc-bientot-prets-a-servir-le-mali-1137412.html

[iii] Les Soufis cherchent les chemins qui pourront les amener vers le Divin. Leur approche mystique dérive en partie du Sourate LXV.12 qui nous informe que “Dieu=Allah a créé les Sept Cieux.” Les Salafistes sont certains de leur Vérité; les Soufis cherchent la Vérité à travers les sens cachés de la Parole de Dieu. Voir: SOUFI: Expressions de la Quête mystique, de Laleh Bakhtiar, Thames & Hudson, London/Paris 1976.

[iv] Voir Serge Daniel (2012).  Al-Qaida du Maghreb Islamique : L’industrie de l’enlèvement. Paris, Fayard

[v] https://www.transcend.org/tms/2019/09/france-and-germany-escalate-occupation-of-mali-and-the-sahel/

[vi] Ahmed Rashid est l’auteur – entre autres – des livres:  Taliban: Militant Islam, Oil and Fundamentalism in Central Asia, Yale University Press (March 2000) ISBN 0-300-08340-8; et Descent into Chaos: The United States and the Failure of Nation Building in Pakistan, Afghanistan, and Central Asia, Viking, 2008, ISBN 978-0-670-01970-0

[vii] Voir le livre déjà cité de R. Poulton et I. Ag Youssouf, avec Préface de Kofi Annan  http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/la-paix-de-tombouctou-gestion-democratique-developpement-et-construction-africaine-de-la-paix-fr-21.pdf

[viii] Pelckmans, Lotte & Sangaré, Boukaré (2015, p44): “Mali intra-ethnic fragmentation and the emergence of new (in-)security actors” in Protection and (In-)Security Beyond the State by Hoffmann, Kaspar and Wiuff Moe, Louise, eds. Copenhagen:  Danish Institute for International Studies.

[ix] Voir le résumé excellent de cette rencontre rédigé par Sophie Le Gouriellec: Note sur l’Afrique: Défense et politique étrangère, IRSEM, Paris, décembre 2014, No 4.

[x] L’an 1325 avait vu l’empereur du Mali Mansa Moussa entreprendre le Haj. En route pour la Mècque, il avait distribué tant d’or que la chute de la valeur de l’or sur le marché au Caire a duré 20 ans. A l’époque, les deux tiers de l’or européen arrivait du Mali, traversant le Sahara à partir du marché de Tombouctou. Le Mali était riche !

[xi]Veryan Khan au Consortium pour les recherches et analyses du terrorisme estime qu’il existe une menace “sous le radar” de la Mauritanie où l’Etat islamique Da’ech, al-Qaeda et Boko Haram travaillent en équipe pour former des jihadistes occidentaux. Les services sécuritaires au Maroc ont identifié 1193 jihadistes marocains engagés en Syrie et Iraq. http://www.bladi.net/combattants-marocains-djihad,40352.html: voir aussi:   http://www.gatestoneinstitute.org/1699/polisario-al-qaeda; http://www.breitbart.com/national-security/2015/03/24/triple-threat-isis-al-qaeda-and-boko-haram-training-together/

[xii] L’article suivant montre comment le Pentagone en 2012 avait encouragé la création de l’EI, considéré comme un atout = ‘an asset’: https://medium.com/insurge-intelligence/secret-pentagon-report-reveals-west-saw-isis-as-strategic-asset-b99ad7a29092  Un document classé ‘secret’ le 12 août 2012 par la Defense Intelligence Agency américaine (DIA), prévoit très explicitement la  déclaration probable “d’un État islamique par une union entre organisations terroristes en Irak et en Syrie.”

[xiii] On oublie trop facilement combien de banques avaient fait faillite en Europe et aux USA. Pour éviter la catastrophe économique, les États avaient nationalisé ces banques – preuve que le modèle commercial et capitaliste avait échoué. Et pourtant, le système bancaire n’a pas été modifié. Indication que l’impunité existe aussi en Europe et en Amérique, peu de banquiers ont été punis pour leur corruption, voire leur incompétence; la plupart des banquiers continuent à exercer comme si le modèle commercial avait réussi. Rien n’illustre plus clairement la puissance des Corporations et la faiblesse actuelle de la gouvernance démocratique.

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Robin Edward Poulton, Ph.D. est membre du réseau TRANSCEND pour la paix développement environnement et a été consultant-conseiller auprès de l’ONU, de l’UE et de nombreux gouvernements. Il est parfois membre du corps professoral de l’Université européenne de la paix (Autriche) et de la Virginia Commonwealth University (États-Unis), et chercheur principal à l’UNIDIR Genève (Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement). Poulton est l’auteur le plus récent de The Limits of Democracy and the Postcolonial Nation State: Mali’s Democratic experiences faiblit, tandis que le djihad et le terrorisme se développent au Sahara, Lewiston NY & Lampeter, UK: Mellen Press, octobre 2016; et éditeur du nouveau livre collectif Paroles sur les Crises au Mali et les Limites de la Démocratie: Expériences et Analyses pour favoriser la Paix, Bamako: La Sahélienne, février 2019. Il est associé directeur d’EPS Mandala Consulting. repoulton@epesmandala.com


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